ERP pour PME : un marché sous pression par Yves DROTHIER, JDN Solutions 23/04/2009
Pression sur les prix, mais aussi sur les services, apparition de l’Open Source dans les appels d’offres : les ERP pour les PME doivent s’adapter à un contexte mouvant. Les clients, eux, affinent leurs exigences.
Inégalement équipées en ERP jusqu’à la fin des années 1990, les PME françaises ont depuis massivement franchi le pas des progiciels de gestion intégrés. Toutefois, les premiers essais n’ont pas toujours été concluants. Pour d’autres, les versions choisies sont devenues obsolètes. Un renouvellement massif du parc s’est donc initié, qui se traduit par une croissance à deux chiffres du marché. Dans ce contexte, de nouveaux entrants ont tenté l’aventure des ERP pour les PME : les acteurs Open Source et les grands éditeurs.
Ils font face à des acteurs bien implantés, généralistes et spécialisés, reconnus pour leur expertise et leurs références clients. Cette nouvelle concurrence joue sur les prix, les services et la proximité pour se différencier. La pérennité des offres est toutefois remise en question par les opérations de croissance externe. Les clients attendent, en fonction, davantage de garanties et d’accompagnement.
Un marché de renouvellement exigeant La plupart des PME-PMI françaises ont déjà sauté le pas de l’informatisation, et des ERP également. Aujourd’hui, sauf cas particulier, les PME-PMI n’envisagent plus de logiciels spécifiques et indépendants pour gérer la comptabilité, la production et les stocks. Les clients de 2006/2007 sont principalement des entreprises dont l’ERP actuel est soit technologiquement obsolète, en fin de vie, ou un ensemble de briques indépendantes éventuellement développées en interne que l’on envisage de remplacer.
"Je définirais le marché comme actif mais méfiant. Les PME ont des projets de refonte, d’amélioration de l’ERP, mais à chaque fois il peut s’écouler énormément de temps entre l’identification du besoin et le fait de passer à l’acte. Pourtant, tous les secteurs sont demandeurs, et dès que l’on creuse, on s’aperçoit bien qu’il y a une effervescence", constate Olivier Heintz, directeur de projet chez l’intégrateur Nereide.
Pour tous, il s’agit bien du nouvel eldorado de la croissance. Les PME, plus que les grands groupes, ont encore un retard en matière d’équipements d’ERP nouvelle génération. Mais là où le grand compte est surtout handicapé par la lourdeur de l’existant et la taille des projets, les PME se trouvent plutôt confrontées à des impératifs du quotidien. "La grande différence entre une PME et un grand compte est que, dans le cas du grand compte, il existe un DSI qui va pouvoir rebondir sur l’identification du besoin, suivre le projet et le tirer auprès de la direction. Dans une PME, le DSI est souvent débordé, de même que les dirigeants, ce qui étale les projets", poursuit Olivier Heintz.
Mais les mentalités changent, à la faveur du renouvellement des générations. Ces jeunes dirigeants sensibilisés aux nouvelles technologies mesurent mieux l’intérêt que peut offrir un ERP en termes d’aide à la croissance. Les dirigeants plus expérimentés, eux, ont déjà connu plusieurs versions d’ERP, et éventuellement quelques déboires, ce qui les positionne aussi en utilisateurs avertis. Ils se montrent désormais plus dirigistes dans la mise en oeuvre et la réflexion en amont, et n’hésitent pas à faire jouer la concurrence pour baisser les prix.
"Les solutions sont désormais toutes à niveau, fonctionnellement parlant. Je n’ai jamais entendu dire de la part d’un client qu’une solution était clairement en dessous des autres techniquement. La différence se fait sur la partie commerciale. Quand un client cherche une solution de type Néogia ou Cegid, il n’est en général pas intéressé par du SAP Business One, et inversement. Il faut alors faire de gros efforts, commercialement parlant, pour conquérir ces clients", ajoute Olivier Heintz.
Autre nouveauté, les ERP pour les PME intéressent désormais aussi les grands comptes pour remplir les besoins d’une brique annexe, ou pour équiper un site distant au contexte particulier. Pour l’instant, ces marchés restent toutefois des niches. Les DSI essaient autant que possible d’appliquer un outil unique pour leur groupe, afin de minimiser la complexité du système d’information. A l’inverse, certaines PME s’équipent d’ERP de grands comptes afin de mettre en place un lien étroit entre leur informatique et celle de leurs fournisseurs ou de leurs clients.
"Les différences entre les attentes des grands comptes et les PME tendent à s’estomper. Le client considère que l’éditeur ne traite qu’une partie de ses problèmes s’il ne propose que la partie finance / comptabilité. Le CRM est une brique importante, l’EDI également, l’e-commerce mais aussi le décisionnel. Ils veulent rationaliser leur ERP en favorisant les solutions intégrées", indique Bertrand Marze, directeur des opérations de l’intégrateur Opti-One.
Les ERP font partie des projets les plus consommateurs de temps dans une PME. Même en confiant le projet à une société de services afin de monter le cahier des charges, les utilisateurs finaux et la direction générale devront consacrer du temps à préparer le projet en amont. Un temps à ne pas négliger car il conditionne la juste adéquation de l’outil avec ses besoins métiers et les spécifications en termes de développement. Or, prises dans le travail quotidien, les PME n’ont pas toujours le temps nécessaire pour pousser le projet à l’inverse d’une DSI ou d’une direction métier de grand compte.
"Les PME ont autant de besoins en matière de paramétrage que les grands comptes. Mais elles n’ont pas les moyens humains pour le faire. Sur un projet SAP de grand compte, il n’est pas rare de voir une équipe de 20 personnes à temps plein dédiée au projet. Dans les PME, nous mobilisons plutôt entre une à deux personnes à mi-temps sur un projet d’ERP. Ce qui explique par exemple que SAP adresse ce marché avec l’offre Business One : il n’est tout simplement pas possible de fournir le même type de solutions aux grands comptes qu’aux PME", analyse Coralie Girardet, consultante pour la société Audaxis (intégrateur Compiere).
De même, le budget consacré aux ERP n’est souvent pas à la hauteur des espérances des éditeurs. Ces derniers préfèrent alors rogner sur les services d’intégration pour mieux se positionner face à la concurrence. En général, un budget moyen d’ERP en PME se situe entre 20 et 50 K €, et va durer de 4 à 6 mois (cahier des charges, appel d’offres, mise en production, tests, formation et premiers dépannages compris). Pour ce tarif cependant, les PME essaient de s’orienter vers des solutions suffisamment complètes et robustes pour leur permettre de soutenir leur croissance au cours des 5 prochaines années. L’outil doit donc être pérenne et souple.
"A ces tarifs là, toutes les solutions du marché sont soit trop légères en contenu, soit trop lourdes et trop chères. Les clients demandent en général des périmètres fonctionnels qui couvrent au moins la gestion commerciale, les stocks, les achats, la comptabilité et la production. Or, les Divalto, Jeeves, Sage, Navision et SAP Business One ont bien du mal à y répondre. Il n’y a pas de solutions qui s’imposent aujourd’hui sur le marché des PME-PMI. Cela vient, selon moi, de la complexité de la demande mais aussi du fait qu’une solution générique et paramétrable est très difficile à fournir", estime Coralie Girardet (Audaxis).
"Beaucoup de PME ont aussi à gérer une problématique internationale, soit parce qu’elles rachètent ou ont été rachetées par un groupe étranger, soit parce qu’elles ont des clients ou des fournisseurs à l’étranger, ou encore parce qu’elles font appel régulièrement à des consultants étrangers. Dans ce cas là, elles ont à traiter une problématique multi-sites et envisagent des solutions d’hébergement avec une équipe dédiée pour gérer à distance le centre de données. Ce n’est pas tout à fait de l’ASP, puisqu’on ne loue pas un logiciel mais une machine", explique Bertrand Marze, directeur des opérations chez Opti-One.
La richesse de l’offre a d’ailleurs complexifié le choix des PME lors de l’appel d’offres. Certaines grandes caractéristiques ressortent tout de même. "Si la PME veut de la logistique, Compiere sera en tête de l’appel d’offres. Sur des structures simples ou des processus simples, TinyERP est bien positionnée. Pour les parties industrielles, Néogia s’avère pertinent. Les offres, en tout cas pour l’Open Source, se complètent assez bien. Mais il est préférable de ne pas passer trop de temps à évaluer les ERP entre eux, car ce qui fait la puissance de l’outil c’est bien sa mise en oeuvre. Je conseillerais en revanche d’être attentif sur le moteur du progiciel, en s’assurant qu’il ne soit pas dépassé techniquement", déclare Olivier Heintz, directeur de projet chez l’intégrateur Nereide.
"Je qualifierais le marché des ERP pour les PME de difficile, parce que très attaqué, mais néanmoins relativement dynamique. Je ne le juge pas morcelé. Au cours des appels d’offres, on retrouve toujours 4 ou 5 acteurs qui interviennent sur ce marché au niveau national. Il existe bien sûr des logiciels à diffusion discrète, mais globalement 5 acteurs se dégagent", note Roland Etienne, président d’ERT intégration.
Microsoft avec Navision, SAP avec Business One, Cegid avec Business Suite, Sage avec Sage 100 et Sage 1000, et enfin Divalto représentent le gros du marché des PME-PMI. Ils sont suivis par des compétiteurs tels Jeeves, Qualiac, Compiere, Generix, Prodaxis, IFS, OFBiz. D’autres encore ont fait l’objet de rachats récents comme Adonix, Prodstar ou Movex. Au vu de l’intérêt des grands éditeurs pour ce segment de marché, et de la grande hétérogénéité de l’offre, de nouvelles consolidations sont à prévoir pour les deux prochaines années. Oracle pourrait également s’y intéresser une fois son projet Fusion (PeopleSoft, Oracle eBusiness Suite et JD Edwards) terminé.
"Les aspects conviviaux et le respect des standards ont désormais une grosse importance pour les dirigeants de PME. Microsoft ne s’y est pas trompé d’ailleurs en sortant une nouvelle version un peu moins "boîte-à-outils" de son logiciel Navision.
Après, de savoir si l’outil utilise une interface Web, est ou non Open Source... ce sont des questions relativement accessoires pour un dirigeant d’entreprise qui se préoccupe uniquement du résultat obtenu. Au prestataire en revanche de maîtriser la technologie pour offrir un résultat concordant aux attentes de la PME", souligne Bertrand Marze, directeur des opérations Opti-One.
Les analystes distinguent encore sur le marché les nouveaux entrants, qui viennent pour certains du monde des ERP généralistes grands comptes (SAP), ou qui offraient des briques indépendantes avant de les réunir sous le terme d’ERP (Sage). Pour ces acteurs, l’enjeu est clairement de parvenir à descendre en adaptant leurs coûts d’intégration et leurs offres.
A l’inverse, les spécialistes des ERP pour les PME doivent être capables de rivaliser avec une offre généralement plus complète sur les fonctions généralistes mais moins suceptible de s’adapter aux métiers très verticaux. Une croisée des chemins qui favorise les rapprochements (partenariats ou rachats) entre acteurs, et une course aux intégrateurs.
"L’ambition de Cegid est d’être le leader sur ce segment pour le marché européen. Cela passe entre autres par des acquisitions, mais aussi par des partenariats ou des joint-ventures. Ces acquisitions peuvent permettre d’acquérir des solutions positionnées sur des marchés très verticaux, ou qui sont propres aux pays en question", explique Jean-Louis Decosse, responsable du développement pour Cegid.
Des rachats qui permettent aussi d’acquérir une base client et de gagner du temps et une reconnaissance sur des nouveaux marchés, où il est normalement plus difficile et plus lent de s’y introduire. L’autre composante qui pousse aux acquisitions, est la montée en puissance des solutions ERP où les composantes CRM et BI sont intégrées en standard à la solution. La jeunesse des solutions Open Source d’ERP constitue à la fois leur atout et leur faiblesse face aux concurrents propriétaires. Un atout tout d’abord car, étant développées avec les derniers langages objets, elles se montrent plus souples en encourageant la réutilisabilité du code, mais aussi plus faciles à faire évoluer au gré des nouvelles technologies. Enfin, comme elles ne sont pas liés à une base client existante, elles gèrent généralement mieux les montées de version. Mais cet atout présente un revers : les outils sont encore loin de disposer de toute la richesse fonctionnelle des solutions propriétaires plus anciennes.
Compiere ou TinyERP s’attachent d’abord à reproduire les fonctions les plus génériques des ERP modernes : gestion commerciale, achats, stocks, production, ressources humaines. Ils développent ensuite par projet une part de développements spécifiques qui sera réintégrée au produit final. A partir de ces composants réutilisables, l’idée consiste à gagner un maximum de temps en développement pour pouvoir se concentrer uniquement sur les éléments les plus pointus à modéliser chez les clients.
"Le fait d’être un produit Open Source n’est que rarement mis en avant auprès des directions générales, seulement auprès des informaticiens. L’argument du coût de licence est d’ailleurs très faible, étant donné que la grosse partie du coût d’un projet ERP porte sur l’intégration. Et aujourd’hui, en raison du manque d’expérience des solutions Open Source, il faut compter un temps de développement un peu plus long. Cependant, le fait de ne pas être lié à une société, de pouvoir reprendre le code, intéressent les informaticiens. L’autre point qui retient leur attention, c’est la possibilité de personnalisation de l’outil", affirme Olivier Heintz (Nereide).
L’Open Source bloque encore à l’entrée des entreprises en raison d’un manque de reconnaissance auprès du public non technicien. Les dirigeants de PME, mais aussi les consultants ERP fonctionnels ERP, connaissent généralement mal les outils et leur potentiel. Les profils doivent être à la fois techniques, pour s’intéresser au code source et aux langages utilisés, mais aussi fonctionnels de manière à couvrir les besoins du client. Et ces profils restent rares, sans compter que les salaires ne suivent pas toujours. En effet, en tant que nouveaux acteurs du marché, les offres Open Source sacrifient parfois leurs marges pour gagner leurs premières références. Pour faire face à cette situation, ils explorent de nouveaux modèles avec les clients.
"Nous lancons des offres de consulting en ligne via des plates-formes d’elearning et des webconférence. L’idée étant de dire que pour certaines tâches, la présence du consultant aux côtés du client n’est pas forcément nécessaire. C’est une manière d’économiser sur les coûts sans rogner sur le service. L’autre solution, qui se prête bien à l’Open Source, consiste à partir avec le client sur un pilote en se concentrant sur les spécifiques et non sur un cahier des charges regroupant en plus les besoins généraux. Si tout se passe bien, le client gagne du temps, et si le projet échoue, il aura de toute manière avancé dans sa définition des besoins ", soutient Coralie Girardet d’Audaxis.
Sur un marché très concurrentiel, les clients profitent désormais de prix tirés vers le bas grâce notamment aux offres Open Source mais aussi à l’entrée de grands éditeurs comme SAP ou Microsoft. Cette baisse des prix ne s’accompagne pas toujours d’une meilleure qualité de services, au contraire puisque la concurrence à tendance plutôt à nuire à l’accompagnement du client et à la prise en compte de ses besoins. Le choix de l’intégrateur est donc, plus que jamais, déterminant dans la réussite d’un projet.
Passés les premières expériences et les tâtonnements du marché, les PME se veulent désormais plus exigeantes avant de s’engager sur une solution. La première garantie voulue est la pérennité du produit, en anticipant les risques de rachats de l’éditeur ou de fin de vie du produit, mais aussi en examinant le socle technologique sur lequel le logiciel est bâti. Les PME portent également davantage attention aux autres expériences menées par leurs concurrents ou leurs partenaires. Enfin, la facturation de la prestation est mieux étudiée afin d’éviter les retards à répétition.
Les clients revendiquent désormais des besoins de plus en plus proches de ceux des grands comptes. Une solution intégrée doit couvrir dans sa version standard les aspects généraux (stocks, achats ventes, production, logistique), mais aussi intégrer d’autres fonctions annexes telles les ressources humaines, l’ecommerce, le CRM... A ces fonctions générales s’ajoutent des développements spécifiques non négligeables puisque ce sont eux qui permettent à la PME de se différencier de ses concurrents et d’éviter ainsi de rentrer dans un moule d’entreprise. C’est sur cet enjeu que l’Open Source mise pour parvenir à rattraper son retard face aux solutions propriétaires.